LEO BELMONTE, 1875-1956
painter and weaver
Fide et virtute
"Fide et virtute" – la devise des Belmonte - signifie "par la Foi et la Vertu". En plus de ses origines sépharades1, Léo Belmonte a hérité de ces valeurs morales qui lui ont indiqué le chemin tout au long de sa vie.
C'est avec foi en effet que Léo Abraham Abendana Belmonte, né le 30 octobre 1875 à Stockholm en Suède, se donne à sa vocation de licier. Son père, Isaac Julius, un banquier d'origine juive portugaise né à Hambourg en Allemagne et émigré à Stockholm, souhaite que son fils reprenne l'entreprise familiale. Mais le jeune Léo, qui réalise ses premières peintures à 13 ans, a en lui une graine d'artiste. En 1892, alors âgé de 17 ans, il se rend à Paris pour étudier la peinture à l'Académie Julian où il se lie d'amitié avec Sándor Nagy, Aladár Körösfői-Kriesch et Percyval Tudor-Hart qui joueront tout trois un rôle déterminant dans sa vie.
En 1896, Belmonte fait son service militaire dans l'infanterie en Suède. Entre 1898 et 1899, il séjourne à Paris, Stockholm, Mayence, Hambourg, Veszprém en Hongrie, et vend ses premiers portraits. En 1900, il installe son atelier à Mayence en Allemagne. Malgré son succès en tant que portraitiste, cette voie le laisse insatisfait. Sous les conseils de Sándor Nagy, il décide d'étudier la tapisserie. Il retourne donc à Paris et entre à la Manufacture des Gobelins. Léo Belmonte découvre alors sa véritable vocation et rencontre durant cette période Marguerite Bloch qui deviendra son épouse en 1902.
Au cours des années 1903 et 1904, Belmonte réalise une collection d'objets gravés sur cuir (boîtes, cadres, portefeuille, paravent, etc.) d'après des dessins de Nagy. Ses œuvres sont primées à l'Exposition universelle de Saint-Louis aux États-Unis en 1904, où il obtient la Médaille d'argent.
En 1905, il part en Hongrie pour rejoindre la colonie d'artistes de Gödöllő, fondée par ses amis hongrois Körösfői-Kriesch et Nagy. Il devient directeur de la Manufacture nationale de tapis et tissage. Il enseigne les techniques des Gobelins et fait de la restauration de tapisseries. Parallèlement, il exécute ses propres tapisseries d'après les modèles de Körösfői-Kriesch et de Nagy. Lors de l'Exposition Internationale de Milan en 1906, ses œuvres Jésus, le bon pilote et La famille (d'après les cartons de Körösfői-Kriesch) sont exposées. Belmonte reçoit le Diplôme d'honneur et la Médaille d'or dans la catégorie des Arts Décoratifs.
Perfectionniste et exigeant, Léo Belmonte réalise seul ses tapisseries et les signe de deux escargots, symboles de la lenteur et de la patience qu'exigent le travail de licier. Il teint ses laines avec des pigments d'origine minérale et végétale qu'il prépare lui-même, afin de pouvoir obtenir une plus grande diversité de coloris. Belmonte est toujours resté en retrait de la scène, œuvrant dans les coulisses avec discrétion et modestie. Mais cependant, son rôle au sein de la colonie n'en est pas moins capital. Grâce au très haut niveau d'exécution de ses tapisseries, le tissage de Gödöllő s'est retrouvé parmi les premiers de Hongrie.
En plus de la foi inébranlable en sa vocation, il a fallu une bonne dose de courage et de vertu à Léo Belmonte, victime d'une époque lourde de deux guerres mondiales qui ont été deux grandes entailles dans sa carrière. La Première Guerre mondiale le fait fuir de la Hongrie où il était destiné à un avenir prometteur. Son retour précipité en France en juillet 1914 met fin à tous ses projets artistiques. Durant plusieurs années, Belmonte perd complètement de vue ses amis Nagy et Körösfői-Kriesch, ainsi que Tudor-Hart. Les tapisseries ne sont plus en demande à Paris en cette période de guerre et vers 1919, Belmonte devient comptable pour faire vivre sa famille. Il est "condamné" à sept années de travaux forcés.
En 1926, il retrouve par hasard Tudor-Hart qui lui propose son projet de tapisserie représentant Adam et Ève au Paradis Terrestre. Après un premier refus, n'ayant pas touché un métier à tisser depuis de longues années, Belmonte finit par accepter la proposition. Commence alors la longue et étonnante saga de la tapisserie Le Premier péché…
De 1926 jusqu'à la fin de leur vie, Belmonte et Tudor-Hart restent étroitement et douloureusement liés par leur projet commun et leur profonde amitié. D'un côté de la scène, au Canada ou en Angleterre, il y a "Beans" - comme il est surnommé dans la famille Belmonte -, artiste d'origine canadienne, homme de grande culture, riche et fantaisiste, se débattant dans une vie personnelle remplie de péripéties et de drames qui font obstacles autant à sa vie qu'à son art. De l'autre côté, dans les coulisses en France, il y a Léo qui attend les cartons, dans le calme morose et parfois même désespérant de son atelier.
Puis, un autre coup du sort s'impose: la Seconde Guerre mondiale en 1939, qui vient interrompre complètement l'avancement de la tapisserie durant près de quatre ans. Étant d'origine juive, bien que non pratiquant, Belmonte et sa famille doivent porter l'étoile jaune. Les années de guerre se révèlent éprouvantes, mais Léo ne reste pas inactif: il refait la Cassandre de Körösfői-Kriesch pour son fils Daniel, la Circé de Dulac pour sa fille Yvette, et La famille de Körösfői-Kriesch, pour la troisième fois. En 1944, Belmonte réussit à reprendre contact avec Tudor-Hart et le travail reprend, mais d'une manière toujours aussi sporadique, au grand dam de Léo.
En 1954, un autre malheur arrive: la mort de Tudor-Hart. Entre alors en scène Catherine, sa dernière épouse, artiste elle-même, qui continue la peinture des cartons avec maestria. Belmonte reprend espoir de pouvoir terminer son Premier péché. Mais le sort en décide autrement: Léo Belmonte meurt le 9 octobre 1956 à l'âge de 80 ans, alors qu'il est sur le point d'achever la plus grande œuvre de sa vie. Il ne restait que la bordure supérieure à finir. Catherine Tudor-Hart demande à René Baudonnet de prendre la relève. Et en 1961, la tapisserie est enfin terminée, 35 ans après son commencement.
Il n'existe sans doute pas au monde une tapisserie de taille relativement modeste, comme celle du Premier péché[2], qui ait représenté autant d'années d'anxiété, de déplacements et de dépenses. Mais ce "Paradis inachevé" est le reflet à la fois beau et brisé de ce qu'a été la carrière de Léo Belmonte. Cette œuvre reste l'aboutissement ultime d'un art exercé avec passion et auquel Belmonte est resté fidèle toute sa vie envers et contre tout, fide et virtute…
Soeur de Belmonte
Soeur de Belmonte
Rue du Vieux Pont de Sèvres, France
Soeur de Belmonte